Depuis plus d’un siècle, les activités humaines ont profondément transformé la biodiversité. Face à l’urgence, la communauté internationale s’engage de plus en plus dans sa protection, un mouvement renforcé par la COP15 de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, qui s’est tenue à Montréal en 2022. Les polluants d’origine humaine ont des conséquences multiples sur les écosystèmes : toxicité directe, disparition d’espèces locales ou encore introduction d’espèces envahissantes.
L’ADN, c’est quoi ?
L’ADN (acide désoxyribonucléique) est une longue molécule présente dans toutes les cellules vivantes : humaines, animales, végétales, etc. C’est en quelque sorte la recette de fabrication de chaque être vivant. On y trouve toutes les instructions qui nous rendent uniques !
Contrairement aux ordinateurs qui utilisent un langage binaire (0 et 1), l’ADN est composé de quatre “lettres” : A, T, G, C, pour adénine, thymine, guanine et cytosine. Chaque espèce a une combinaison unique de ces lettres, comme une signature biologique. Cette particularité permet d’identifier facilement à qui appartient un fragment d’ADN retrouvé dans la nature.
L’ADN environnemental : un outil clé pour surveiller la biodiversité
L’ADN environnemental est une méthode innovante pour détecter la présence d’espèces dans un environnement, qu’il soit terrestre ou aquatique (Langlois et al., 2020). Les êtres vivants laissent naturellement des traces d’ADN dans leur environnement (peau, excréments, salive, plumes, écailles, urine…). En les analysant, les scientifiques peuvent savoir quelles espèces vivent dans un lieu donné – sans avoir à capturer ou observer directement les animaux !
L’analyse de cet ADN environnemental offre des perspectives révolutionnaires pour l’écotoxicologie, les études environnementales et l’évaluation des risques. Ces outils permettent de collecter rapidement des informations précises sur la biodiversité, sans perturber les espèces ni détruire leur habitat, tout en étant économiques et efficaces.
Le schéma ci-dessous illustre les différentes étapes nécessaires à la collection de l’ADN environnemental dans l’eau d’une rivière. Premièrement, il faut bien choisir les sites d’échantillonnage (1), choisir la méthode d’échantillonnage et faire l’échantillonnage de l’eau (2), filtrer les échantillons (3), préserver les filtres qui contiennent l’ADN environnement correctement (4), extraire l’ADN environnemental à l’aide à des protocoles commerciaux (5), analyser l’ADN extrait pour les espèces qui nous intéresse (6) et interpréter les résultats finaux afin de comprendre si les espèces d’intérêt étaient présentes ou non sur nos sites d’échantillonnage (7) (Voir le schéma)
Par exemple, l’ADN environnemental permet de détecter la présence des espèces, y compris celles difficiles à observer avec des méthodes traditionnelles ou celles qui nécessitent des techniques d’échantillonnage invasives aux animaux échantillonnés (Smart et al. 2015), comme c’est le cas pour l’esturgeon jaune.

Voici les étapes pour le prélèvement de l’ADN environnemental.
Suivre l’esturgeon jaune avec l’ADN environnemental
L’esturgeon jaune est une espèce menacée, notamment à cause de la surpêche pour son caviar et de la destruction de ses frayères, où il pond ses œufs (Bourquin, 2023). Pour aider à sa survie, des frayères artificielles peuvent être aménagées. Mais les utilise-t-il vraiment ?
Grâce à l’ADN environnemental, des chercheurs peuvent maintenant vérifier si de l’ADN d’esturgeon est présent dans l’eau autour de ces frayères… et oui, ça fonctionne ! Cela permet de confirmer sa présence sans le déranger.
L’ARN environnemental : un indicateur du bien-être des organismes
L’ARN environnemental est tout aussi intéressant ! Les ARN (ou acides ribonucléiques) sont des messages que l’ADN à sa cellule pour lui faire faire des actions. Par exemple, si notre corps a mal, l’ADN va envoyer plusieurs messages (ARN) dans nos cellules et ces ARN vont aller dire à notre corps de se protéger, soit par notre système immunitaire, d’oxydation ou de détoxication. Donc, la détection de l’ARN dans l’environnement, nous permet de savoir l’état de santé des organismes d’intérêt (Glover et al. 2025). Contrairement à l’ADN, qui peut persister longtemps dans l’environnement, l’ARN se dégrade rapidement (en quelques minutes à quelques heures). Cela permet alors de différencier les organismes vivants de ceux qui sont morts tout en obtenant un portrait précis de leur état physiologique.

Marie-Pier Brochu échantillonne l’eau d’une rivière à la recherche de l’ADNe de l’esturgeon jaune… et elle en a trouvé beaucoup ! En effet, ses résultats sont supers, car ils démontrent un lien très fort entre l’utilisation de la frayère par les esturgeons jaunes et des concentrations d’ADNe retrouvés en même temps, et ce, seulement pendant la saison de la reproduction ce qui suggère que les esturgeons utilisent bel et bien cette frayère !
Relier pollution, biologie moléculaire et gestion environnemental
En couplant l’ADN environnemental avec des analyses chimiques, il devient possible d’établir des corrélations entre les types de contaminants et les changements biologiques observés. Par exemple, certaines espèces peuvent révéler des effets des métaux lourds, des pesticides et/ou des microplastiques sur les écosystèmes (Müller et al. 2024). En outre, l’analyse de l’ARN environnemental permet de mieux comprendre les réactions biologiques des organismes face aux polluants. Cet outil non invasif pourrait ainsi aider à détecter le stress environnemental, évaluer le développement des organismes et mesurer leur capacité à s’adapter aux changements écologiques.
L’intégration de ces outils en biosuivi permet une surveillance plus active et efficace des milieux naturels. En détectant rapidement les signaux précoces de stress écologique, les gestionnaires peuvent prendre des décisions plus éclairées, ajuster les politiques de conservation et orienter les efforts de dépollution vers les zones les plus vulnérables (Langlois et Martyniuk, 2022). C’est là que les nouvelles technologies moléculaires comme l’ADN environnemental et l’ARN environnemental peuvent jouer un rôle crucial. En les intégrant aux études sur la pollution, nous pourrions mieux prédire l’impact des contaminants sur la biodiversité et aider à la prise de décision pour préserver la santé des écosystèmes. Avec le développement rapide de ces outils, l’avenir de l’ADN et de l’ARN environnementaux semble prometteur, ouvrant de nouvelles perspectives pour une gestion plus efficace et durable de la biodiversité.
Initiation au concept de l’ADN environnemental pour les enfants
Alors que certains métiers scientifiques traditionnels, comme celui de taxonomiste, tendent à disparaître, les outils moléculaires – notamment l’identification génétique par ADN (Barberousse et Samadi 2013) – deviendront probablement indispensables pour les prochaines générations. Il est donc essentiel d’initier les enfants dès le plus jeune âge aux concepts de base de ces technologies de pointe. Or, peu de ressources éducatives existent à ce sujet.
Heureusement, une nouvelle collection de livres jeunesse à vocation scientifique, alliant fantaisie et humour, vient de voir le jour. À travers les enquêtes passionnantes de « Prof Planète et sa brigade », les enfants découvrent de manière ludique des notions complexes du monde scientifique en lien avec des sujets liés à l’environnement et la protection des écosystèmes. Dans le tome « Mission sauvetage », par exemple, les jeunes lecteurs explorent le concept d’ADN environnemental alors que l’équipe de scientifiques part à la recherche d’un goéland, d’une anguille et d’un caribou perdus dans le Grand Nord (Langlois et Petit, 2025). Une belle façon de rendre la science accessible… et amusante ! Bonne initiation et bonne lecture !
Article rédigé par le Dr Valérie Langlois, Professeure à l’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS, Canada), Présidente du conseil scientifique de la Fondation evertéa.
Références bibliographiques
Barberousse A et S Samadi (2013) La taxonomie dans la tourmente. Revue d’anthropologie des connaissances. 2:411-431.
Bourquin C (2023) Ces survivants menacés d’extinction. La Presse. 14 mai 2023. Consulté le 21 mars 2025.
Glover CN, Veilleux HD, Misutka MD (2025) Environmental RNA and the assessment of organismal function in the field. Comparative Biochemistry and Physiology Part B: Biochemistry and Molecular Biology. 275:111036.
Langlois VS, Petit C (2025) Prof Planète et sa brigade : Mission sauvetage. Les Éditions MultiMondes. Montréal, QC. 58 p.
Langlois VS et Martyniuk CM (2022) Chapitre 5: Ecotoxicogenomics. Dans Campbell PGC, Hodson PV, Welbourn PM et DA Wright. Environmental Toxicology. 2e Édition. Cambridge University Press. 576 p.
Langlois VS, Allison MJ, Bergman L, To TA, Helbing CC (2020) The need for robust qPCR-based eDNA detection assays in environmental monitoring and risk assessments. Environmental DNA. 00:1-9.
Müller ND, Kirtane A, Schefer RB, Mitrano DM (2024) eDNA Adsorption onto microplastics: Impacts of water chemistry and polymer physiochemical properties. Environmental Science & Technology. 58 (17), 7588-7599.
Smart AS, Tingley R, Weeks AR, van Rooyen AR, McCarthy MA (2015) Environmental DNA sampling is more sensitive than a traditional survey technique for detecting an aquatic invader. Ecological Applications. 25(7):1944-52.