La pollution plastique est devenue l’un des problèmes environnementaux les plus préoccupants du XXIe siècle. Chaque année, des millions de tonnes de plastique sont déversées dans l’environnement, affectant les écosystèmes terrestres et aquatiques (Jambeck et al., 2015). Les déchets plastiques qui se retrouvent dans l’environnement sont rapidement colonisés par des microorganismes qui forment un biofilm à leur surface. Quels sont les impacts de la plastisphère sur les grands cycles biogéochimiques ? Les déchets plastiques peuvent-ils jouer le rôle de radeau pour transporter des espèces pathogènes sur de longues distances ? Les microorganismes sont-ils capables de biodégrader les plastiques ? Peut-on les utiliser pour produire de nouveaux plastiques biodégradables ? Cet article donne un état des lieux des connaissances sur les interactions entre les déchets plastiques et les microorganismes, ainsi que les risques écologiques et les perspectives de bio-ingénierie
Impact sur la diversité et les fonctions microbiennes
Les études sur les biofilms qui se développent sur les déchets plastiques ont montré une diversité microbienne très spécifique, par comparaison aux développements sur d’autres surfaces comme du bois, du verre ou encore en association avec la matière organique naturelle. Cette spécificité a conduit à définir une nouvelle niche écologique appelée « plastisphère » (Zettler et al., 2013). La plastisphère est composée d’organismes très diversifiés, qui remplissent à la fois des fonctions d’attachement à la surface du plastique, mais aussi des fonctions de photosynthèse et de transformation de la matière organique produite. Une étude a montré que la plastisphère en mer pourrait constituer une source de carbone disponible à proximité des déchets, avec des conséquences sur le cycle biogéochimique du carbone dans les océans (Conan et al., 2022).

Risques écotoxicologiques liés aux déchets plastiques et aux microorganismes
La présence de microorganismes spécifiques des déchets plastiques peut comporter des risques écotoxicologiques à plusieurs niveaux. Des travaux récents ont démontré la présence de bactéries virulentes pathogènes pour l’homme (Shewanella putrefaciens) sur des microplastiques récoltés dans les fleuves (Philip et al., 2024). Les déchets plastiques retrouvés dans l’environnement sont également des réservoirs pour les gènes de résistance aux antibiotiques (Shruti et al., 2024). La question du transport des espèces de la plastisphère (y compris pathogènes) sur de longues distances reste ouverte, même si des premiers résultats semblent remettre en cause cette théorie (Jacquin et al., 2024).
Les microorganismes semblent également augmenter les risques toxiques liés à l’adsorption de polluants à la surface des plastiques. La sécrétion de substances exopolymèriques participe à l’effet « éponge à polluants » des déchets plastiques qui accumulent des contaminants tels que des métaux lourds à leur surface (Liu et al., 2022).
Biodégradation des plastiques et plastiques biodégradables

Attaque bactérienne de la surface de plastique biodégradable observée en microscopie électronique (Crédit photo : Yonko Gorand).
La fin de vie des plastiques dans l’environnement est étroitement liée aux microorganismes qui les colonisent. Si la fragmentation des déchets plastiques en micro- et nanoplastiques est classiquement associée à des phénomènes physiques (abrasion, ultraviolets), les microorganismes participent activement à leur biodétérioration et à leur biodégradation. Des enzymes microbiennes clivent les longues chaînes de polymères en oligomères et monomères, qui peuvent alors être incorporés dans les cellules pour être digérés et totalement reminéralisés en CO2 (Jacquin et al., 2019). Si ces mécanismes existent dans la nature, ils sont très lents et ne font pas face à la quantité croissante de déchets plastiques qui sont rejetés dans l’environnement. Les estimations actuelles des temps de dégradation ultime des plastiques conventionnels en mer dépassent plusieurs décennies, voire plusieurs siècles (Andrady et al., 2022).
Une alternative aux plastiques conventionnels issus de la pétrochimie consiste à produire des nouveaux polymères d’origine biologique (bio-sourcés). A partir des polymères biosourcés, il est alors possible de produire des polymères classiques (polyethylene, polypropylene,…) ou des polymères dits « biodégradables » (polysuccinate de butyle, acide polylactique…). Certains polymères biodégradables sont produits à partir de microorganismes, tels que les polyhydroxyalcanoates (PHA) qui présentent une biodégradabilité proche de celle de l’amidon (Cheng et al., 2023). Les plastiques biodégradables n’ont pas vocation à remplacer tous les usages des plastiques, mais plutôt ceux dont la probabilité d’être retrouvés dans l’environnement est grande (produits cosmétiques, filets de pêche, film de paillage) (Paul-Pont et al., 2023). Une approche intégrée combinant réduction de la production de plastiques primaires et innovations bio-inspirées est indispensable pour répondre aux enjeux soulevés par la pollution plastique. La question de la toxicité des plastiques biodégradables reste aussi importante que pour les plastiques conventionnels, puisqu’ils sont composés également d’additifs chimiques qui sont mis en cause dans la majorité des effets toxiques chez les organismes (Leistenschneider et al., 2023).
En conclusion, la pollution plastique et son interaction avec les microorganismes soulèvent des enjeux écologiques majeurs. La plastisphère influence les cycles biogéochimiques et pourrait jouer un rôle dans la dispersion de pathogènes et de gènes de résistance aux antibiotiques. De plus, elle contribue à la fixation et au transfert de polluants. Les processus de biodégradation des plastiques dans l’environnement restent trop lents face à l’accumulation des déchets dans tous les écosystèmes et les polymères biodégradables ne constituent qu’une solution de niche pour des applications ciblées.
Cet article met en évidence la complexité des interactions entre pollution plastique et microorganismes, soulignant la nécessité de recherches approfondies pour mitiger ses impacts.
Article rédigé par le Dr Jean-François Ghiglione, directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’Océanographie Microbienne (LOMIC, Banyuls sur mer), membre du conseil scientifique de la Fondation Evertéa.
Références bibliographiques
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